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Le procès d’intention sur le banc des accusés

Récemment, Fabien Olicard, comme tant d’autres avant lui, parlant des pervers narcissiques, leur prêtait une intention de nuire et de détruire ses victimes. Mais qu’en est-il vraiment ?

L’intention, cet imaginaire

Lorsque j’étais enfant, ma mère me prêtait souvent l’intention de procrastiner, de parler beaucoup, d’oublier mes devoirs, d’attirer l’attention. J’étais donc un sale gamin qui méritait ses reproches, et ses violences, puisque, selon son imaginaire, je le faisais exprès pour la défier, la ridiculiser, porter atteinte à son image.

Des années plus tard, mon frère faisait souvent de même avec mes neveux. « Il fait exprès, il sait que ça m’énerve ». Jusqu’au jour où, excédé, en colère, je l’ai repris: « Un enfant ne fait pas exprès. Il n’a pas l’intention d’énerver. Il fait quelque chose qui énerve, mais n’a pas décidé de le faire de manière malveillante. Tu fais comme maman, et un jour, ils te le feront payer ».

J’ai beaucoup pleuré pendant cette discussion. Et j’ai pu constater plus tard que mon frère avait pris la mesure de son erreur. Son comportement a changé, à mon grand soulagement. L’intention était imaginaire. C’est lui, dans sa tête, dans ses pensées qui l’inventait.

Nombre d’enfants hyperactifs sont traités ainsi dans le cadre scolaire et familial. On leur prête cette intention malveillante. On leur répète à quel point ils sont inadéquats, mauvais, perturbateurs. et ils finissent, comme j’ai fini moi-même, par l’assimiler. Puisque quand je ne fais pas exprès, on m’accuse d’avoir eu l’intention de nuire, alors je suis une mauvaise personne.

J’ai ouvert sur le thème des pervers narcissiques, et j’y reviendrai. Je souhaitais malgré tout montrer que ce problème n’est pas propre à ce sujet, puisqu’il concerne les enfants, et plus encore. Qui sur la route n’a pas pensé qu’une personne avait fait exprès de lui couper la route par exemple. Alors que dans la réalité, ce type de comportement est plus souvent accidentel que volontaire.

Donner du sens, une stratégie évolutive

Le procès d’intention permet de donner du sens, d’expliquer une situation, et d’anticiper la réponse à y donner. Il relève d’une stratégie évolutive naturelle. Nous, humains, sommes prédisposés à inférer des intentions chez autrui. Ca nous permet d’anticiper les dangers et de coopérer ou se protéger. Les enfants, très tôt, interprètent les actions d’autrui comme intentionnelles, même quand ce n’est pas le cas.

La manière dont on juge ces intentions, les valorise ou les sanctionne, dépend du contexte social et culturel. Certaines sociétés insistent sur la responsabilité morale individuelle, d’autres sur les conséquences des actes indépendamment de l’intention. Les normes juridiques, médiatiques et morales amplifient ou canalisent ce biais naturel.

Mais ce mécanisme, utile à l’origine, devient problématique lorsqu’il déforme la réalité. Prêter une intention là où il n’y en a pas transforme des comportements neutres ou automatiques en actes supposément malveillants. C’est ce glissement — du naturel au jugé — qui alimente colère, incompréhension et réactions inadaptées.

Les conséquences du procès d’intention

Les injustices

Comme nous l’avons vu plus haut, le procès d’intention peut être destructeur. Chez l’enfant, qui a besoin de cadre et d’encouragement plutôt que de blâmes et de jugements, il érode l’estime de soi. Mais ce mécanisme s’étend aussi à la justice et à la société : on prête à la victime une intention de provoquer la situation dans laquelle elle se trouve.

Cela m’est arrivé lors d’un accident de la route. La juge a interprété mes actions comme révélant une intention : « Monsieur Sissaoui, vous avez voulu donner une leçon à l’autre conducteur… » ou encore : « Monsieur Sissaoui, si vous cherchez de l’adrénaline, il faut aller sur un circuit ». Pourtant, je me suis fait tamponner par un chauffard excédé qui l’a fait volontairement, et je n’ai jamais cherché à provoquer un rodéo (sur autoroute à 80 km/h). Mon comportement a été lu à travers un prisme d’intention imaginaire, et qu’importe mon témoignage, je mentais forcément pour me dédouaner. D’ailleurs, le chauffard en question n’avait pas l’intention de défoncer mon véhicule, mais plutôt l’intention de faire du monde ce qu’il estimait qu’il devait être:un monde dans lequel quand il est pressé, tout le monde s’enlève de son chemin immédiatement.

C’est arrivé également à une amie qui a été violée sous GHB (drogue du violeur), lorsqu’elle s’est fait dire par un juge : « Peut-être que ce soir-là, vous étiez particulièrement aguichante. », celui-ci balayant aussi sec son statut de victime et la transformant en responsable de sa situation, sur la base d’une intention de séduire totalement imaginaire.

La guérison retardée

Chez le pervers narcissique, il n’y a pas l’intention de détruire, contrairement à ce qu’affirment trop souvent certains « spécialistes ». Le pervers narcissique — rappelons qu’il ne s’agit pas d’une pathologie reconnue, mais d’une catégorie descriptive fondée sur l’observation de traits narcissiques et manipulatoires — n’a pour intention que d’obtenir que tout ce qui l’entoure corresponde à l’image qu’il se fait du monde. La victime, quant à elle, est presque toujours une personne à l’estime fragile, en quête d’un modèle, de validation extérieure, donc malléable. Une personne que le pervers narcissique va façonner pour qu’elle corresponde à ce qu’il pense qu’elle doit être. C’est dans ce processus que la destruction a lieu.

Lorsqu’elle prend conscience, seule ou parfois grâce à un soutien extérieur, qu’elle est enfermée dans une relation toxique, la victime se retrouve confrontée à une foule de « savants » lui expliquant que la personne qu’elle admirait, qu’elle aimait parfois, n’était qu’un monstre animé par une intention manifeste de la faire souffrir, de la détruire.

Ce procès d’intention ajoute une couche de trahison au traumatisme initial. La victime, déjà fragilisée, peut alors s’enfermer dans la colère ou la volonté de vengeance, un mauvais chemin de guérison. Car jamais elle n’obtiendra d’aveu ni de reconnaissance d’une volonté de nuire : pour le pervers narcissique, le problème n’a jamais été lui, mais toujours l’autre, le monde, l’univers. À aucun moment il n’a eu l’intention de détruire ; seulement celle d’imposer sa propre représentation.

J’ai parlé ici au masculin, mais cette dynamique concerne aussi bien des hommes que des femmes, des deux côtés.

Sortir du piège du procès d’intention

Expliquer n’est pas excuser. J’ai pris l’habitude de faire cette différence, essentielle pour prendre du recul et comprendre une situation avec plus de clarté. Expliquer les comportements et les mécanismes qui me font souffrir m’a permis d’en voir les conséquences sur moi : crise d’angoisse, anxiété, besoin constant de me justifier.

Reconnaître que l’intention est souvent imaginaire m’a aidé à être plus tolérant envers moi-même et envers les autres. J’ai pu lâcher la culpabilité de m’être laisser faire, et la colère que des personnes voulaient volontairement me détruire. Comprendre qu’il n’y avait pas d’intention de faire souffrir m’a permis de tourner la page — parfois avec pitié et compassion pour mon agresseur et ses futures victimes — plutôt que de courir après une justice que je n’obtiendrais jamais.

En cessant de juger l’intention, j’ai pu me concentrer sur moi : comprendre ce qui avait rendu possible ces relations toxiques, apprendre à me positionner, à refuser l’inacceptable. Car contrairement à ce que certains « spécialistes » affirment, le pervers narcissique ne choisit pas sa victime avec intention. La relation s’installe comme une danse à deux: d’un côté, une personne narcissique qui cherche les marionnettes de son monde idéal ; de l’autre, une victime en quête d’un marionnettiste capable de donner corps à une vie qu’elle estime inadaptée.

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